1.
Premières oeuvres au Brésil
Carlos Gomes est
né à Campinas, état de São Paulo, Brésil, le 11
juillet 1836. À cette époque, le Brésil était
récemment devenu un pays indépendant, en 1822. C'était
alors le seul pays des Amériques à vivre une monarchie
stable. A partir de 1831, l'empereur Don Pedro II y
régnait, alors que l'Italie était le royaume de
Vittorio Emmanuelle. La vie musicale au Brésil était
surtout faite de chansons romantiques comme les lundus
où les modinhas, tout à fait adaptés pour les salons,
ou d'opéra venant d'Europe, plus spécifiquement
d'Italie, où dominait le génie de Verdi.
Il existe une certaine controverse quant aux origines de
Carlos Gomes. La version la plus largement acceptée est
que Gomes était un quart indien : sa grand-mère était
une indienne Guarany, mariée au fils d'un immigrant
espagnol.
Fils d'un chef d'harmonie, Carlos Gomes apprend de son
père les rudiments de la musique. À l'âge de 18 ans,
il compose une messe, créée dans une église locale. Il
se lance ensuite dans un tour du Brésil en tant que
pianiste alors qu'il a à peine plus de vingt ans. Il
entre ensuite au Conservatoire National pour y étudier
la composition avec l'Italien Gioacchino Gianini. Là,
Carlos Gomes compose en 1860 deux cantates : la première
fut jouée devant l'Empereur lui-même, qui lui attribue
à cette occasion une Médaille d'Or. Avec la deuxième,
"A Ultima Hora do Calvario" (la
Dernière Heure du Calvaire), musique sacrée pour
l'église militaire de Santa Cruz, Carlos Gomes se voit
offrir la position de directeur d'orchestre et deuxième
chef d'orchestre du Théâtre Lyrique National.
Les deux années suivantes, entre 1861 et 1863, Carlos
Gomes compose ses deux premiers opéras, en Portugais,
dans le style du belcanto italien.. A Noite do Castelo (La Nuit au
Château) est créé en 1861, au Théâtre Lyrique
Fluminense de Rio de Janeiro. À cette occasion le
compositeur reçoit de la part de l'Empereur la
distinction de Chevalier de l'Ordre de la Rose. En 1863,
le deuxième opéra de Carlos Gomes, Joana de Flandres, reçoit le
même accueil populaire que le premier. Grâce à ces
premiers succès comme compositeur dopéra au
Brésil, Carlos Gomes obtient une bourse de l'Académie
Impériale des Beaux-Arts du Brésil, Institution qui
gérait le Conservatoire National, pour aller étudier en
Europe. Après un long voyage à travers le Portugal et
la France, Carlos Gomes s'installe à Milan, il a alors
28 ans. En Italie il composera six de ses principaux
opéras, un poème symphonique vocal, deux opérettes, et
une grande collection de musique de chambre.
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Le jeune Carlos
Gomes
Couverture de la partition de A
Noite do Castelo
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2.
L'inspiration brésilienne de Carlos Gomes
Carlos Gomes,
tout au long de sa vie, a démontré qu'un génie musical
ne peut pas se limiter à composer des mélodies
populaires ou sentimentales. Il avait compris que la
musique, comme art, n'a pas de frontières, et qu'un
jeune pays (le Brésil a alors moins de 400 ans) a besoin
de construire sa tradition musicale et de suivre ses
propres aspects culturels. La musique brésilienne que
l'on connaît aujourd'hui est le résultat d'années et
d'années de mélanges historiques de différentes
cultures. En plus de la musique portugaise (largement
influencée par les invasions maures entre le VIIIème et
le XVème siècle) le peuple brésilien a été enrichi
par de nombreux autres influences internationales comme
l'opéra italien, les chansons napolitaines, la musique
religieuse et les comptines françaises, la valse
germanique, la polka ou la mazurka slaves, tous ces
styles étant mélangés avec les rythmes folkloriques
des indiens locaux. Finalement les noirs africains,
introduits au Brésil par l'esclavage, ont également
apporté leur propre rythme et leur musiques lors de leur
déplacement transatlantique.
La musique de Carlos Gomes est le résultat de tout ce
mélange : une authentique musique brésilienne. Ses
principales uvres ont été composées dans le
domaine de l'art dramatique : l'opéra. En plus de ses
talents de compositeur, il était un bon ténor, et seul
l'opéra, un mélange de différents arts (danse,
peinture, architecture, musique orchestrale et vocale)
pouvait lui offrir les moyens d'exprimer son génie. Ces
oeuvres sont une réflexion sur sa propre situation. La
production dramatique de Carlos Gomes n'a jamais abordé
l'opéra bouffe. Toute cette expression dramatique est
subordonnée à la suprématie de la voix.
La Gazette de Milan, la publication de Ricordi,
décrivait Carlos Gomes ainsi :
"Quand Carlos Gomes marche, toujours seul et
perdu dans ses pensées, on pourrait dire qu'il est un
sauvage, transporté abruptement et comme par magie au
milieu de notre Milan. Gomes, avec sa manière de
marcher, a l'air de craindre un précipice à chacun de
ses pas, une trahison, un ennemi derrière chaque
personne. Cette tête primitive, ses manières
craintives, et cet air si fermé qu'il semble sinistre,
font que beaucoup le considère comme un misanthrope.
Gomez n'est pas cela : il a un cur noble et
généreux, il est plein d'affection pour ses amis, et
très enthousiaste pour son art. Mais il aime, il adore,
il est enthousiasmé par sa propre manière d'être :
comme un vrai sauvage."
Dans ce sens, Carlos Gomes peut facilement être comparé
à Verdi, toujours considéré comme campagnard. Mais les
similarités entre les deux hommes vont beaucoup plus
loin que le simple aspect physique. Trois ans après
s'être installé en Italie, Carlos Gomes reçoit le
diplôme de Maestro et compositeur du conservatoire de
Milan. Il devient rapidement très populaire avec deux
opérettes (Se sa
Minga, 1867, et Nella
Luna, 1868). Quelques-unes de ces mélodies étaient
si populaires qu'elles étaient jouées par les orgues de
barbarie traditionnels dans la rue. En 1868, le
compositeur déménage de Milan à Maggianico, aux
alentours de Lecco, une banlieue intellectuelle, où il
fera construire, dix ans plus tard, une magnifique villa.
Parmi ses voisins, on peut nommer Ponchielli et
Ghislanzoni, librettiste de Verdi. Ponchielli deviendra
l'ami de Carlos Gomes. En 1878, Ghislanzoni déclarait
dans la Gazette musicale :
"Gomes vit dans un paradis à Villa Brasilia,
son manoir à Maggianico. En entrant dans la propriété,
on se sent comme dans une jungle tropicale, avec plus de
300 ficus. Quand les portes du jardin sont ouvertes, les
camélias parfumés nous invitent à rentrer."
Selon les mémoires de la fille de Carlos Gomes, de
nombreux animaux brésiliens, oiseaux et singes, y
vivaient également parmi les bambous.
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Couverture
de la partition de Se Sa Minga
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3.
Reconnaissance en Italie
En 1869, Carlos
Gomes finit de composer son premier opéra célèbre : Il Guarany, basée sur un
roman indianiste homonyme de José de Alencar. Il Guarany
sera acclamé à la Scala de Milan en 1870. Son
professeur de composition, et directeur du conservatoire
de Milan, Lauro Rossi, lui écrit à cette occasion une
lettre impressionnante dans laquelle il lui avoue :
"personne n'a eu une plus grande victoire que la
vôtre lors de sa première". La princesse
Mathilde demande une copie de la partition. Même Verdi,
après avoir entendu il Guarany, parle de Carlos Gomes
comme un grand compositeur. Immédiatement après la
première représentation, la maison d'édition Lucca a
acheté les droits de l'opéra.
Le succès de cet opéra se confirmera au long des
années qui vont suivre. En témoigne cette critique de
la représentation faite à Nice en février 1880 (Journal de Nice):
"L'uvre de Gomez témoigne de beaucoup
d'étude, de beaucoup de science instrumentale. Elle
renferme de très beaux passages. Nous signalons
particulièrement la symphonie, où l'on remarque des
éclairs d'originalité, des traits de mélodie clairs et
spontanés, et les deux duos pour ténor et soprano sont
vraiment très beaux. Le brindisi du second acte et la
prière du troisième sont d'une facture magistrale. Les
morceaux d'ensemble sont généralement très bien
conçus, et bien traités. Tel est l'effet que ce nouvel
opéra a produit à la suite d'une première audition.
Toutefois, nous sommes convaincus qu'il obtiendra
beaucoup de succès à Nice car, nous le répétons, il
renferme des beautés de premier ordre qu'on ne laissera
jamais d'entendre. Hâtons-nous d'ajouter que
l'exécution contribuera encore au succès, car elle est
excellente."
Carlos Gomes continue de composer, toujours très
influencé par la culture italienne, mais avec une
tendance vers dans le chromatisme wagnérien. Ses
prochaines oeuvres allaient donc suivre un chemin tout à
fait différent. Il Guarany appartient au mouvement de
rénovation de l'opéra, qui a commencé avec l'Africaine
de Meyerbeer, et a continué avec Aïda de Verdi. Tous
ces opéras utilise des thèmes exotiques. Le fin mai,
suivant son succès, Vittorio Emmanuelle a nommé Carlos
Gomes "Chevalier de la Couronne d'Italie", et
Don pedro II l'a fait "Commandeur de l'Ordre la
Rose". Il vivait à ce moment une grande période de
succès, et le 16 décembre 1871, épousa la pianiste
Adelina Péri, qui avait étudié à Rome et également
au Conservatoire de Milan. De cette union naîtront cinq
enfants. Carla Maria, Manuel José, Mario sont tous morts
enfants. Carlos André a vécu jusqu'à l'âge de 26 ans.
Itala Mariana Gomes Vaz de Carvalho, la seule qui aie
survécu à Carlos Gomes lui-même, écrira plus tard la
biographie du compositeur.
Il Guarany était écrit dans une tradition tout à fait
italienne. Mais le second opéra "italien" de
Gomes, Fosca, mis en scène
pour la première fois à la Scala en 1873, sur un livret
de Ghislanzoni, été composé dans une forme
polyphonique plus avancée, utilisant systématiquement
les leitmotiv, et d'une manière assez chromatique.
Gounod, présent à la première, en fit des commentaires
flatteurs.
Carlos Gomes fut alors accusé d'être wagnérien, et
ceci n'était pas du tout apprécié au XIXe siècle en
Italie. Fosca a été acclamé par les experts, mais elle
est restée un échec public. Quelques mois plus tard,
Lohengrin de Wagner sera hué par les mêmes spectateurs.
Surmontant cette déception, Carlos Gomes compose alors Salvator Rosa, également sur un
livret de Ghislanzoni, d'après la nouvelle "Masaniello",
de Eugène de Mirecourt. Ce travail sera représenté
pour la première fois le 21 mars 1807 au théâtre Carlo
Felice à Gênes. Gomes avait simplifié l'orchestration,
mais marqué le caractère impulsif de l'oeuvre à
travers de fréquents tutti et à certains chromatismes,
s'éloignant ainsi quelque peu du style italien. En
parlant de ces trois premiers opéras écrits en Italie,
Carlos Gomes disait :
"J'ai fait il Guarany pour les brésiliens,
Salvatore Rosa pour les Italiens, et Fosca pour les
experts."
Jusqu'à aujourd'hui, Salvatore Rosa reste l'opéra
favori des Italiens dans le répertoire de Gomes.
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Couverture de la partition de Il
Guarany
Couverture de la partition de Fosca
Couverture de la partition de
Salvator Rosa
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4. Le
succès international
En 1876, Carlos
Gomes visite les États-Unis pour la première fois. Il
participe à la célébration du premier centenaire de
l'indépendance américaine, à Philadelphie. A cette
occasion, l'empereur Don Pedro II commande à Carlos
Gomes un morceau orchestral : ce sera une oeuvre pour
orchestre et chur appelé "Il Saluto del
Brasile". Ce sera là encore succès, avec des
critiques telles que :
"le maître a réussi à s'approprier les
qualités des écoles italiennes et allemandes, sans
tomber dans les excès de l'une ou l'autre. Cet hymne a
toute la fascination mélodique des pièces italiennes,
associée à la richesse de la musique germanique."
Finalement, en février 1878, Fosca est montée de
nouveau à la Scala. Cette fois l'oeuvre remporte le
succès public qu'elle mérite. La Gazette musicale faite
encore des critiques très positives sur cet opéra:
"On pourrait dire que c'est un travail
entièrement dans le style de Gomes. Indubitablement,
Fosca est le chef-d'oeuvre du maître américain. Il
exprime toutes ses inspirations sauvages. Le grand finale
est un cri de guerre barbare, mais seul Gomes pouvait
traduire en musique une telle philosophie et de tels
effets."
Gomes a eu une vie très occupée, voyageant autour du
monde pour y diriger ses oeuvres, et n'aura jamais le
temps de finir de nombreux opéra sur lesquels il
travaillait : Les Mousquetaires du Roi, Marinella, tous
les deux sur des livrets de Ghislanzoni, ainsi que Ninon
de Lenclos et Palma. Puis arriva 1879, une année
désastreuse pour le compositeur. Il perdit cette
année-là son troisième enfant, et la mésentente avec
Adelina sa femme se fit de plus en plus ouverte. La
famille décida alors de déménager à Gênes pour
essayer de changer d'atmosphère. Malheureusement cela ne
servit à rien, et ils revinrent à Milan l'année
suivante.
Malgré ses malheurs, le quatrième opéra de Gomes, Maria Tudor, voit le jour : le
livret est le résultat d'une coopération entre le
poète Emile Praga et le compositeur Arrigo Boito,
d'après un drame de l'auteur français Victor Hugo. La
première est un échec, mais est moins due à la
qualité du travail de Gomes qu'à une rivalité qui se
passe en coulisse. Une rivale de la prima donna, jalouse
de ne pas avoir le rôle, avait envoyé ses amis, et
même payé une partie de l'audience pour siffler
l'opéra, et bien sûr plus spécifiquement la principale
soprano. Toutefois, après cela, l'opéra sera joué
seize fois de plus, à chaque fois avec un grand succès.
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Affiche du Centenaire de
l'Indépendance Américaine, avec la participation de
Carlos Gomes
La demeure de Carlos Gomes à
Maggianico
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5.
Un homme de tempérament
Selon les
témoignages de ses contemporains, Carlos Gomes avait un
tempérament méridional, avec des moments d'explosion et
de colère, et d'autres de tendresse et amabilité. Mais
son coeur était noble, toujours ouvert aux causes
humaines. Il aimait la nature, il aimait les enfants, il
aimait la justice. En 1880, il alla au Brésil pour y
diriger les trois opéras qui avaient du succès en
Europe. Après une nuit de grands honneurs, on lui offrit
trois esclaves, qu'il libéra immédiatement. À son
retour en Italie, il publia un album de musique de
chambre, et commença rapidement son travail sur un autre
opéra : Lo Schiavo
(L'Esclave). Toutefois cet opéra ne verra pas le jour
avant 1889. Cette visite au Brésil lui permit de
renouveler ses forces et ses idéaux. Il était
résolument engagé dans la bataille pour la liberté des
esclaves, et composa une marche sur ce thème. Le nom
original de cette uvre était "Marche
Populaire", pour harmonie et voix, mais elle fut
ensuite renommée Ao Ceara Livre (Au Ceara Libre), le
Céara étant le première province brésilienne avoir
libéré les esclaves.
Avec la maison d'édition Ricordi, Gomes publie deux
albums de musique de chambre en 1882. Les années
suivantes, ses trois opéras populaires sont joués dans
toute l'Europe, et il doit souvent voyager pour assumer
des engagements contractuels. On parle alors d'une
possible liaison entre Carlos Gomes et Hériclée
Darclée, une soprano dramatique roumaine. Elle était
une interprète sublime des opéras de Carlos Gomes : une
Isabelle idéale dans Salvatore Rosa, et une Fosca et de
Maria Tudor extraordinairement expressives. Carlos Gomes
et darclée voyagent ensemble à Trieste, à Budapest,
Saint-Pétersbourg, Londres, retournant en Italie par
Venise avant de reprendre la route de Milan.
Comme l'on pouvait s'y attendre, le compositeur se
sépara légalement de sa femme au début de 1885. Il
vendirent Villa Brasilia et leur mobilier. Carlos Gomes
s'installa alors dans un modeste appartement dans la
galerie Vittorio Emmanuelle. À cause de tous ces
événements, il ne finit pas ses travaux sur les opéras
Oldrada, I Bohemi, et Morena. En 1888, Adelina Peri
meurt, laissant le compositeur en charge de l'éducation
de deux enfants survivants.
Heureusement, sa vie musicale était plus réussie :
l'orchestre philharmonique de Modena, après une saison
incluant Fosca, rendit hommage à Carlos Gomes en 1889.
Et finalement, Lo Schiavo,
sur un livret de Alfredo Taunay et Rodolfo Paravicini,
fut créé cette même année à Rio de Janeiro. Ce fut
un succès au Brésil, mais pas en Europe. C'est
peut-être le travail le plus important de Gomes. Il
dédia cet opéra Lo Schiavo à "Sa Majesté la
Princesse Donna Isabelle, Comtesse d'Eu, Régent
Impériale", qui avaient signé la libération des
esclaves.
Du à sa grande popularité au Brésil, l'Empereur promit
à Carlos Gomes la position de Directeur du Conservatoire
de Rio de Janeiro dès que le compositeur voudrait
revenir au Brésil. Toutefois, en novembre 1889, la
République brésilienne fut établie, et Gomes perdit
son support officiel, ainsi que ses espoirs pour cette
position de directeur du conservatoire. Son nom était
beaucoup trop compromis avec l'empire, et la place alla
à d'autres musiciens.
En janvier 1890, Gomes retourna en Italie. À ce moment,
il rencontrait de grandes difficultés matérielles, et
dut vivre dans l'appartement de l'une de ses amies, la
comtesse de Cavalini. Il avait commencé à travailler
sur un opéra profane mystique, le "Cantique des
Cantiques", quand la Scala lui commanda un
mélodrame appelé Condor,
qu'il écrit en trois mois. Avec Boito, Catalani,
Martucci et Bezzini, il fut nommé dans un comité en
charge de la sélection des musiciens qui pourraient
jouer à La Scala. Condor, le nouvel opéra qu'il
présenta, en février 1891, fut dirigé par Mugnone.
Toscanini avait été jugé trop jeune pour ce travail.
Le résultat surpassa toutes les attentes, ainsi que l'on
peut lire dans la critique du journal Il Secolo :
"Cet opéra a été mis en scène avec beaucoup
de bon goût : de superbes décors, de beaux costumes.
À propos de l'orchestre ? Sensationnel ! Le chef
d'orchestre Mugnone a donné une preuve de plus de ce que
sa nature artistique et sa conscience musicale peuvent
produire. La fusion entre les parties orchestrales et
vocales a rarement été aussi parfaite qu'hier. Et la
musique de Carlos Gomes a été chantée avec tellement
de sentiment ! Gomes doit se sentir très fier du
jugement favorable émis par un public aussi sévère et
aussi imposant que celui de La Scala."
Pour le festival colombien a Rio de Janeiro, Gomes
composa dans un genre nouveau : le poème symphonique
vocal, pour soliste, choeur et orchestre. Colombo fut présenté pour la
première fois lors du 400ème anniversaire de la
découverte des Amériques (12 octobre 1892) au théâtre
musical de Rio de Janeiro. Bien que cette uvre
n'ait été que modérément appréciée par le public,
Gomes fut nommé par le gouvernement brésilien comme
représentant de son pays aux célébrations de ce
quadricentenaire qui devaient avoir lieu à Chicago en
1893. Après toutefois un autre voyage en Italie, où il
dirigea Condor, il voyagea pour la deuxième fois aux
États-Unis..
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Couverture de la partition pour
piano de Lo Schiavo
A. Carlos Gomes, à environ 50 ans
Couverture de la partition de Condor
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6.
Sur les origines de Gomes, et leur influence sur sa
musique
Le 7 septembre
1893, eu lieu à Chicago le jour du Brésil, en l'honneur
du 71ème anniversaire de l'indépendance de ce pays. À
cause de limites budgetaires, Carlos Gomes ne pouvait pas
représenter un opéra dans son ensemble, il y dirigea
donc un concert d'ouvertures, scènes et airs de ses
principales oeuvres (voir le programme ici). Il
déclencha un ovation de la part du public, et les
commentaires du jour suivants furent de ce type :
"Deux heures de purs plaisirs intellectuels,
comme on en trouve trop peu aux États-Unis. Après
chaque morceau le public s'est déchaîné, et ce jour
peut-être qualifié non seulement de commémoration d'un
grand événement historique, mais aussi de l'apothéose
d'un homme."
"Le résultat fut au-delà de toute espérance.
Carlos Gomes a été rappelé, et le Brésil a été
très hautement honoré par ce grand génie musical. Ce
fut le principal événement de la célébration du
71ème anniversaire de l'indépendance du Brésil, et
également le plus grand hommage rendu au Brésil en
dehors de ses frontières, dans les 393 années depuis
que les portugais s'y installèrent."
La musique de Gomes était en fait si inhabituelle pour
les nord-américains que de nombreuses questions sur ses
origines émergèrent. J. H. Rogers, dans son livre
"Les Grands Hommes de Couleur du Monde", écrit
: "Gomes était un mélange de noir, d'indien,
et de caucasien." Il avait en fait tort. Les
origines de Carlos Gomes ont certes joué un rôle
important dans la définition de son style musical, mais
Rogers manquait d'informations sur ses véritables
origines. Rappelons ce qu'elles sont. Don Antonio Gomez,
fils d'un immigrant espagnol au Brésil, possédait
quelques terres et des esclaves noirs, et se maria avec
la fille d'un chef indien Guarany. De cette union nacquit
Manuel J. Gomez, qui se maria par la suite à Fabiana
Jaguary Cardoso, moitié indienne moitié portugaise,
comme son nom composé l'indique. Ils eurent deux enfants
: José Santana Gomes et Antonio Carlos Gomes, qui
devinrent tous les deux musiciens. Carlos Gomes, afin de
renforcer son "brasiliannisme", changea la
dernière lettre de son nom pour le faire devenir Gomes.
Un "z" final montre des origines espagnoles,
tandis qu'un "s" final montre une origine
portugaise. Comme le Brésil était une ancienne colonie
portugaise, il préférait véhiculer l'image d'une
ascendance Portugaise plutôt qu'espagnole.
D'un autre côté, il ne cacha jamais ses origines
indiennes. Au contraire, il était toujours fier d'être
un "fils de la jungle". Sa couleur de peau
tendait vers le bronze, caractéristique des descendants
des indiens Guarany, et non un marron pâle qui viendrait
de l'influence noire africaine. Les rythmes sauvages de
ses travaux sont très différents des cadences africaine
onomatopéique et mélancolique. Dans deux de ses plus
fameux opéra, les progrès les protagonistes sont
indigènes : Péri, guarany dans Il Guarany, et Iberê,
Tamoio dans Lo Schiavo, substitut du mulâtre Ricardo
pour des raisons politiques. Durant son séjour à
Maggianico, sa maison était décorée d'objets indiens
comme des arc, des flèches, des lances, des piques, des
colliers, des bracelets et des fruits secs.
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Manuel Gomez, père de Carlos
Gomes |
7.
Sa dernière volonté : demeurer au Brésil
Quand il
retourna à Milan après son succès américain, Carlos
Gomes trouva son fils Carletto souffrant du mal du XIXe
siècle, la tuberculose. Il dépensa beaucoup d'argent à
essayer de le soigner à Milan. En 1894, le gouvernement
brésilien lui offrit 20 000 lires en or pour composer un
hymne républicain. Bien que faisant face à des
difficultés financières, il refusa cette offre, jugeant
que ce serait une trahison à son bienfaiteur,
l'ex-empereur Don Pedro II. Cette même année, il entra
dans un concours pour être nommé Directeur du Collège
Musical Rossini de Pesaro, mais Pietro Mascagni emporta
la place. En 1895, il voyagea au Portugal pour y diriger
Il Guarany : ce chef-d'oeuvre lui apporta à la
distinction de Commandeur de Santiago de la part du
gouvernement Portugais. De retour en Italie, on lui
offrit à peu près au même moment deux postes parmi
lesquels il dut choisir : Directeur de l'Ecole de Musique
de Venise, ou Directeur du Conservatoire du Para, au
Brésil. Vieux, et fatigué de vivre dans un pays
étranger, il accepta la proposition brésilienne avec
ces mots :
"Si ma maladie doit m'emmener jusqu'à la mort,
je veux mourir dans mon Brésil, il n'y a aucun
traitement qui puisse me garder ici."
Son fils Carletto semblait aller mieux. Carlos Gomes lui
rendit visite une dernière fois avant de partir pour le
Brésil. Il quitta finalement l'Italie en avril 1896,
pour prendre ses fonctions dans son pays, où il mourut
le 16 septembre 1896. Il eut des obsèques grandioses.
Ses enfants en Italie célébrèrent le 7 octobre une
messe en sa mémoire, à laquelle de nombreux musiciens
et amis participèrent. Sur la porte de l'église San
Fedele à Milan, on peut lire :
Al Maestro |
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Au Maestro |
Antonio Carlos
Gomes |
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|
Antonio Carlos Gomes |
Gloria del Brasile
che ebbe i natali |
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|
Gloire du Brésil, où il est
né |
Onore dell'Italia |
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|
Honneur de l'Italie, |
Ove educò e spiego
il suo genio |
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|
où il éduqua et développa
son génie |
I figli, gli amici
e la patria |
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|
Ses enfants, amis et le pays |
Ne piangono la
prematura morte |
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pleurent sa mort prématurée
|
E pregano pace |
|
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et prient pour le repos de
son âme |
Carlos Gomes est resté un vrai brésilien jusqu'à sa
mort. A la signature de son testament il ajouta les mots
: brésilien et patriote. En se référant au
compositeur, Mary
Throwbridge Honey écrit :
"L'homme recherche toujours ses héros, une
attitude qui, si elle est correctement dirigée, aboutit
au plus haut type de patriotisme et de bonne volonté
internationale. Mais, à part Washington, il y a peu de
héros dans le nouveau monde qui soient acceptables à
toutes les sections, toutes les religions et tous les
partis politiques. Peut-être avons-nous recherché des
héros au mauvais endroit ? Peut-être pouvons-nous de ce
point de vue recevoir des suggestions de la part d'autres
nations. Un grand compositeur d'Amérique du Sud, Carlos
Gomes, est devenu un idéal national. À ce grand
musicien brésilien, toute l'humanité pourrait rendre
hommage."
Les nations du Nouveau Monde (Amérique latine,
États-Unis et Canada) aiment l'art dramatique. Depuis
que l'opéra a été popularisé sur ce continent au XIXe
siècle, tous les grands chanteurs et compositeurs
européens ont eu l'occasion de représenter leurs
oeuvres dans les Amériques. Toutefois les oeuvres de
Carlos Gomes sont absentes des scènes d'aujourd'hui.
Durant sa vie, Carlos Gomes a révélé au monde le
potentiel musical des nations américaines. C'est
maintenant notre responsabilité de donner à ce génie
musical brésilien la place qu'il mérite. Il est temps
de rendre justice à son nom, et de se rappeler son
oeuvre.
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Mosaïque au sol
de la maison de Maggianico
A. Carlos Gomes, dans ses
dernières années
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