A. Carlos Gomes (1836 - 1896)


Une Biographie
Texte original en Anglais de Cyrene Paparotti, traduction Nicolas Gounin

1. Premières oeuvres au Brésil
2. L'inspiration brésilienne de Carlos Gomes
3. La reconnaissance en Italie
4. Le succès international
5. Un homme de tempérament
6. Les origines de Carlos Gomes, et leur influence sur sa musique
7. Sa dernière volonté : demeurer au Brésil


1. Premières oeuvres au Brésil

Carlos Gomes est né à Campinas, état de São Paulo, Brésil, le 11 juillet 1836. À cette époque, le Brésil était récemment devenu un pays indépendant, en 1822. C'était alors le seul pays des Amériques à vivre une monarchie stable. A partir de 1831, l'empereur Don Pedro II y régnait, alors que l'Italie était le royaume de Vittorio Emmanuelle. La vie musicale au Brésil était surtout faite de chansons romantiques comme les lundus où les modinhas, tout à fait adaptés pour les salons, ou d'opéra venant d'Europe, plus spécifiquement d'Italie, où dominait le génie de Verdi.

Il existe une certaine controverse quant aux origines de Carlos Gomes. La version la plus largement acceptée est que Gomes était un quart indien : sa grand-mère était une indienne Guarany, mariée au fils d'un immigrant espagnol.

Fils d'un chef d'harmonie, Carlos Gomes apprend de son père les rudiments de la musique. À l'âge de 18 ans, il compose une messe, créée dans une église locale. Il se lance ensuite dans un tour du Brésil en tant que pianiste alors qu'il a à peine plus de vingt ans. Il entre ensuite au Conservatoire National pour y étudier la composition avec l'Italien Gioacchino Gianini. Là, Carlos Gomes compose en 1860 deux cantates : la première fut jouée devant l'Empereur lui-même, qui lui attribue à cette occasion une Médaille d'Or. Avec la deuxième, "A Ultima Hora do Calvario" (la Dernière Heure du Calvaire), musique sacrée pour l'église militaire de Santa Cruz, Carlos Gomes se voit offrir la position de directeur d'orchestre et deuxième chef d'orchestre du Théâtre Lyrique National.

Les deux années suivantes, entre 1861 et 1863, Carlos Gomes compose ses deux premiers opéras, en Portugais, dans le style du belcanto italien.. A Noite do Castelo (La Nuit au Château) est créé en 1861, au Théâtre Lyrique Fluminense de Rio de Janeiro. À cette occasion le compositeur reçoit de la part de l'Empereur la distinction de Chevalier de l'Ordre de la Rose. En 1863, le deuxième opéra de Carlos Gomes, Joana de Flandres, reçoit le même accueil populaire que le premier. Grâce à ces premiers succès comme compositeur d’opéra au Brésil, Carlos Gomes obtient une bourse de l'Académie Impériale des Beaux-Arts du Brésil, Institution qui gérait le Conservatoire National, pour aller étudier en Europe. Après un long voyage à travers le Portugal et la France, Carlos Gomes s'installe à Milan, il a alors 28 ans. En Italie il composera six de ses principaux opéras, un poème symphonique vocal, deux opérettes, et une grande collection de musique de chambre.


Le jeune Carlos Gomes


Couverture de la partition de A Noite do Castelo

2. L'inspiration brésilienne de Carlos Gomes

Carlos Gomes, tout au long de sa vie, a démontré qu'un génie musical ne peut pas se limiter à composer des mélodies populaires ou sentimentales. Il avait compris que la musique, comme art, n'a pas de frontières, et qu'un jeune pays (le Brésil a alors moins de 400 ans) a besoin de construire sa tradition musicale et de suivre ses propres aspects culturels. La musique brésilienne que l'on connaît aujourd'hui est le résultat d'années et d'années de mélanges historiques de différentes cultures. En plus de la musique portugaise (largement influencée par les invasions maures entre le VIIIème et le XVème siècle) le peuple brésilien a été enrichi par de nombreux autres influences internationales comme l'opéra italien, les chansons napolitaines, la musique religieuse et les comptines françaises, la valse germanique, la polka ou la mazurka slaves, tous ces styles étant mélangés avec les rythmes folkloriques des indiens locaux. Finalement les noirs africains, introduits au Brésil par l'esclavage, ont également apporté leur propre rythme et leur musiques lors de leur déplacement transatlantique.

La musique de Carlos Gomes est le résultat de tout ce mélange : une authentique musique brésilienne. Ses principales œuvres ont été composées dans le domaine de l'art dramatique : l'opéra. En plus de ses talents de compositeur, il était un bon ténor, et seul l'opéra, un mélange de différents arts (danse, peinture, architecture, musique orchestrale et vocale) pouvait lui offrir les moyens d'exprimer son génie. Ces oeuvres sont une réflexion sur sa propre situation. La production dramatique de Carlos Gomes n'a jamais abordé l'opéra bouffe. Toute cette expression dramatique est subordonnée à la suprématie de la voix.

La Gazette de Milan, la publication de Ricordi, décrivait Carlos Gomes ainsi :

"Quand Carlos Gomes marche, toujours seul et perdu dans ses pensées, on pourrait dire qu'il est un sauvage, transporté abruptement et comme par magie au milieu de notre Milan. Gomes, avec sa manière de marcher, a l'air de craindre un précipice à chacun de ses pas, une trahison, un ennemi derrière chaque personne. Cette tête primitive, ses manières craintives, et cet air si fermé qu'il semble sinistre, font que beaucoup le considère comme un misanthrope. Gomez n'est pas cela : il a un cœur noble et généreux, il est plein d'affection pour ses amis, et très enthousiaste pour son art. Mais il aime, il adore, il est enthousiasmé par sa propre manière d'être : comme un vrai sauvage."

Dans ce sens, Carlos Gomes peut facilement être comparé à Verdi, toujours considéré comme campagnard. Mais les similarités entre les deux hommes vont beaucoup plus loin que le simple aspect physique. Trois ans après s'être installé en Italie, Carlos Gomes reçoit le diplôme de Maestro et compositeur du conservatoire de Milan. Il devient rapidement très populaire avec deux opérettes (Se sa Minga, 1867, et Nella Luna, 1868). Quelques-unes de ces mélodies étaient si populaires qu'elles étaient jouées par les orgues de barbarie traditionnels dans la rue. En 1868, le compositeur déménage de Milan à Maggianico, aux alentours de Lecco, une banlieue intellectuelle, où il fera construire, dix ans plus tard, une magnifique villa. Parmi ses voisins, on peut nommer Ponchielli et Ghislanzoni, librettiste de Verdi. Ponchielli deviendra l'ami de Carlos Gomes. En 1878, Ghislanzoni déclarait dans la Gazette musicale :

"Gomes vit dans un paradis à Villa Brasilia, son manoir à Maggianico. En entrant dans la propriété, on se sent comme dans une jungle tropicale, avec plus de 300 ficus. Quand les portes du jardin sont ouvertes, les camélias parfumés nous invitent à rentrer."

Selon les mémoires de la fille de Carlos Gomes, de nombreux animaux brésiliens, oiseaux et singes, y vivaient également parmi les bambous.



Couverture de la partition de Se Sa Minga

3. Reconnaissance en Italie

En 1869, Carlos Gomes finit de composer son premier opéra célèbre : Il Guarany, basée sur un roman indianiste homonyme de José de Alencar. Il Guarany sera acclamé à la Scala de Milan en 1870. Son professeur de composition, et directeur du conservatoire de Milan, Lauro Rossi, lui écrit à cette occasion une lettre impressionnante dans laquelle il lui avoue : "personne n'a eu une plus grande victoire que la vôtre lors de sa première". La princesse Mathilde demande une copie de la partition. Même Verdi, après avoir entendu il Guarany, parle de Carlos Gomes comme un grand compositeur. Immédiatement après la première représentation, la maison d'édition Lucca a acheté les droits de l'opéra.

Le succès de cet opéra se confirmera au long des années qui vont suivre. En témoigne cette critique de la représentation faite à Nice en février 1880 (Journal de Nice):

"L'œuvre de Gomez témoigne de beaucoup d'étude, de beaucoup de science instrumentale. Elle renferme de très beaux passages. Nous signalons particulièrement la symphonie, où l'on remarque des éclairs d'originalité, des traits de mélodie clairs et spontanés, et les deux duos pour ténor et soprano sont vraiment très beaux. Le brindisi du second acte et la prière du troisième sont d'une facture magistrale. Les morceaux d'ensemble sont généralement très bien conçus, et bien traités. Tel est l'effet que ce nouvel opéra a produit à la suite d'une première audition. Toutefois, nous sommes convaincus qu'il obtiendra beaucoup de succès à Nice car, nous le répétons, il renferme des beautés de premier ordre qu'on ne laissera jamais d'entendre. Hâtons-nous d'ajouter que l'exécution contribuera encore au succès, car elle est excellente."

Carlos Gomes continue de composer, toujours très influencé par la culture italienne, mais avec une tendance vers dans le chromatisme wagnérien. Ses prochaines oeuvres allaient donc suivre un chemin tout à fait différent. Il Guarany appartient au mouvement de rénovation de l'opéra, qui a commencé avec l'Africaine de Meyerbeer, et a continué avec Aïda de Verdi. Tous ces opéras utilise des thèmes exotiques. Le fin mai, suivant son succès, Vittorio Emmanuelle a nommé Carlos Gomes "Chevalier de la Couronne d'Italie", et Don pedro II l'a fait "Commandeur de l'Ordre la Rose". Il vivait à ce moment une grande période de succès, et le 16 décembre 1871, épousa la pianiste Adelina Péri, qui avait étudié à Rome et également au Conservatoire de Milan. De cette union naîtront cinq enfants. Carla Maria, Manuel José, Mario sont tous morts enfants. Carlos André a vécu jusqu'à l'âge de 26 ans. Itala Mariana Gomes Vaz de Carvalho, la seule qui aie survécu à Carlos Gomes lui-même, écrira plus tard la biographie du compositeur.

Il Guarany était écrit dans une tradition tout à fait italienne. Mais le second opéra "italien" de Gomes, Fosca, mis en scène pour la première fois à la Scala en 1873, sur un livret de Ghislanzoni, été composé dans une forme polyphonique plus avancée, utilisant systématiquement les leitmotiv, et d'une manière assez chromatique. Gounod, présent à la première, en fit des commentaires flatteurs.

Carlos Gomes fut alors accusé d'être wagnérien, et ceci n'était pas du tout apprécié au XIXe siècle en Italie. Fosca a été acclamé par les experts, mais elle est restée un échec public. Quelques mois plus tard, Lohengrin de Wagner sera hué par les mêmes spectateurs. Surmontant cette déception, Carlos Gomes compose alors Salvator Rosa, également sur un livret de Ghislanzoni, d'après la nouvelle "Masaniello", de Eugène de Mirecourt. Ce travail sera représenté pour la première fois le 21 mars 1807 au théâtre Carlo Felice à Gênes. Gomes avait simplifié l'orchestration, mais marqué le caractère impulsif de l'oeuvre à travers de fréquents tutti et à certains chromatismes, s'éloignant ainsi quelque peu du style italien. En parlant de ces trois premiers opéras écrits en Italie, Carlos Gomes disait :

"J'ai fait il Guarany pour les brésiliens, Salvatore Rosa pour les Italiens, et Fosca pour les experts."

Jusqu'à aujourd'hui, Salvatore Rosa reste l'opéra favori des Italiens dans le répertoire de Gomes.




Couverture de la partition de Il Guarany

 

 


Couverture de la partition de Fosca

 

 


Couverture de la partition de
Salvator Rosa

4. Le succès international

En 1876, Carlos Gomes visite les États-Unis pour la première fois. Il participe à la célébration du premier centenaire de l'indépendance américaine, à Philadelphie. A cette occasion, l'empereur Don Pedro II commande à Carlos Gomes un morceau orchestral : ce sera une oeuvre pour orchestre et chœur appelé "Il Saluto del Brasile". Ce sera là encore succès, avec des critiques telles que :

"le maître a réussi à s'approprier les qualités des écoles italiennes et allemandes, sans tomber dans les excès de l'une ou l'autre. Cet hymne a toute la fascination mélodique des pièces italiennes, associée à la richesse de la musique germanique."

Finalement, en février 1878, Fosca est montée de nouveau à la Scala. Cette fois l'oeuvre remporte le succès public qu'elle mérite. La Gazette musicale faite encore des critiques très positives sur cet opéra:

"On pourrait dire que c'est un travail entièrement dans le style de Gomes. Indubitablement, Fosca est le chef-d'oeuvre du maître américain. Il exprime toutes ses inspirations sauvages. Le grand finale est un cri de guerre barbare, mais seul Gomes pouvait traduire en musique une telle philosophie et de tels effets."

Gomes a eu une vie très occupée, voyageant autour du monde pour y diriger ses oeuvres, et n'aura jamais le temps de finir de nombreux opéra sur lesquels il travaillait : Les Mousquetaires du Roi, Marinella, tous les deux sur des livrets de Ghislanzoni, ainsi que Ninon de Lenclos et Palma. Puis arriva 1879, une année désastreuse pour le compositeur. Il perdit cette année-là son troisième enfant, et la mésentente avec Adelina sa femme se fit de plus en plus ouverte. La famille décida alors de déménager à Gênes pour essayer de changer d'atmosphère. Malheureusement cela ne servit à rien, et ils revinrent à Milan l'année suivante.

Malgré ses malheurs, le quatrième opéra de Gomes, Maria Tudor, voit le jour : le livret est le résultat d'une coopération entre le poète Emile Praga et le compositeur Arrigo Boito, d'après un drame de l'auteur français Victor Hugo. La première est un échec, mais est moins due à la qualité du travail de Gomes qu'à une rivalité qui se passe en coulisse. Une rivale de la prima donna, jalouse de ne pas avoir le rôle, avait envoyé ses amis, et même payé une partie de l'audience pour siffler l'opéra, et bien sûr plus spécifiquement la principale soprano. Toutefois, après cela, l'opéra sera joué seize fois de plus, à chaque fois avec un grand succès.




Affiche du Centenaire de l'Indépendance Américaine, avec la participation de Carlos Gomes

 

 

 

La demeure de Carlos Gomes à Maggianico

5. Un homme de tempérament

Selon les témoignages de ses contemporains, Carlos Gomes avait un tempérament méridional, avec des moments d'explosion et de colère, et d'autres de tendresse et amabilité. Mais son coeur était noble, toujours ouvert aux causes humaines. Il aimait la nature, il aimait les enfants, il aimait la justice. En 1880, il alla au Brésil pour y diriger les trois opéras qui avaient du succès en Europe. Après une nuit de grands honneurs, on lui offrit trois esclaves, qu'il libéra immédiatement. À son retour en Italie, il publia un album de musique de chambre, et commença rapidement son travail sur un autre opéra : Lo Schiavo (L'Esclave). Toutefois cet opéra ne verra pas le jour avant 1889. Cette visite au Brésil lui permit de renouveler ses forces et ses idéaux. Il était résolument engagé dans la bataille pour la liberté des esclaves, et composa une marche sur ce thème. Le nom original de cette œuvre était "Marche Populaire", pour harmonie et voix, mais elle fut ensuite renommée Ao Ceara Livre (Au Ceara Libre), le Céara étant le première province brésilienne avoir libéré les esclaves.

Avec la maison d'édition Ricordi, Gomes publie deux albums de musique de chambre en 1882. Les années suivantes, ses trois opéras populaires sont joués dans toute l'Europe, et il doit souvent voyager pour assumer des engagements contractuels. On parle alors d'une possible liaison entre Carlos Gomes et Hériclée Darclée, une soprano dramatique roumaine. Elle était une interprète sublime des opéras de Carlos Gomes : une Isabelle idéale dans Salvatore Rosa, et une Fosca et de Maria Tudor extraordinairement expressives. Carlos Gomes et darclée voyagent ensemble à Trieste, à Budapest, Saint-Pétersbourg, Londres, retournant en Italie par Venise avant de reprendre la route de Milan.

Comme l'on pouvait s'y attendre, le compositeur se sépara légalement de sa femme au début de 1885. Il vendirent Villa Brasilia et leur mobilier. Carlos Gomes s'installa alors dans un modeste appartement dans la galerie Vittorio Emmanuelle. À cause de tous ces événements, il ne finit pas ses travaux sur les opéras Oldrada, I Bohemi, et Morena. En 1888, Adelina Peri meurt, laissant le compositeur en charge de l'éducation de deux enfants survivants.

Heureusement, sa vie musicale était plus réussie : l'orchestre philharmonique de Modena, après une saison incluant Fosca, rendit hommage à Carlos Gomes en 1889. Et finalement, Lo Schiavo, sur un livret de Alfredo Taunay et Rodolfo Paravicini, fut créé cette même année à Rio de Janeiro. Ce fut un succès au Brésil, mais pas en Europe. C'est peut-être le travail le plus important de Gomes. Il dédia cet opéra Lo Schiavo à "Sa Majesté la Princesse Donna Isabelle, Comtesse d'Eu, Régent Impériale", qui avaient signé la libération des esclaves.

Du à sa grande popularité au Brésil, l'Empereur promit à Carlos Gomes la position de Directeur du Conservatoire de Rio de Janeiro dès que le compositeur voudrait revenir au Brésil. Toutefois, en novembre 1889, la République brésilienne fut établie, et Gomes perdit son support officiel, ainsi que ses espoirs pour cette position de directeur du conservatoire. Son nom était beaucoup trop compromis avec l'empire, et la place alla à d'autres musiciens.

En janvier 1890, Gomes retourna en Italie. À ce moment, il rencontrait de grandes difficultés matérielles, et dut vivre dans l'appartement de l'une de ses amies, la comtesse de Cavalini. Il avait commencé à travailler sur un opéra profane mystique, le "Cantique des Cantiques", quand la Scala lui commanda un mélodrame appelé Condor, qu'il écrit en trois mois. Avec Boito, Catalani, Martucci et Bezzini, il fut nommé dans un comité en charge de la sélection des musiciens qui pourraient jouer à La Scala. Condor, le nouvel opéra qu'il présenta, en février 1891, fut dirigé par Mugnone. Toscanini avait été jugé trop jeune pour ce travail. Le résultat surpassa toutes les attentes, ainsi que l'on peut lire dans la critique du journal Il Secolo :

"Cet opéra a été mis en scène avec beaucoup de bon goût : de superbes décors, de beaux costumes.
À propos de l'orchestre ? Sensationnel ! Le chef d'orchestre Mugnone a donné une preuve de plus de ce que sa nature artistique et sa conscience musicale peuvent produire. La fusion entre les parties orchestrales et vocales a rarement été aussi parfaite qu'hier. Et la musique de Carlos Gomes a été chantée avec tellement de sentiment ! Gomes doit se sentir très fier du jugement favorable émis par un public aussi sévère et aussi imposant que celui de La Scala."

Pour le festival colombien a Rio de Janeiro, Gomes composa dans un genre nouveau : le poème symphonique vocal, pour soliste, choeur et orchestre. Colombo fut présenté pour la première fois lors du 400ème anniversaire de la découverte des Amériques (12 octobre 1892) au théâtre musical de Rio de Janeiro. Bien que cette œuvre n'ait été que modérément appréciée par le public, Gomes fut nommé par le gouvernement brésilien comme représentant de son pays aux célébrations de ce quadricentenaire qui devaient avoir lieu à Chicago en 1893. Après toutefois un autre voyage en Italie, où il dirigea Condor, il voyagea pour la deuxième fois aux États-Unis..




Couverture de la partition pour piano de Lo Schiavo

 

 


A. Carlos Gomes, à environ 50 ans





















Couverture de la partition de
Condor

6. Sur les origines de Gomes, et leur influence sur sa musique

Le 7 septembre 1893, eu lieu à Chicago le jour du Brésil, en l'honneur du 71ème anniversaire de l'indépendance de ce pays. À cause de limites budgetaires, Carlos Gomes ne pouvait pas représenter un opéra dans son ensemble, il y dirigea donc un concert d'ouvertures, scènes et airs de ses principales oeuvres (voir le programme ici). Il déclencha un ovation de la part du public, et les commentaires du jour suivants furent de ce type :

"Deux heures de purs plaisirs intellectuels, comme on en trouve trop peu aux États-Unis. Après chaque morceau le public s'est déchaîné, et ce jour peut-être qualifié non seulement de commémoration d'un grand événement historique, mais aussi de l'apothéose d'un homme."

"Le résultat fut au-delà de toute espérance. Carlos Gomes a été rappelé, et le Brésil a été très hautement honoré par ce grand génie musical. Ce fut le principal événement de la célébration du 71ème anniversaire de l'indépendance du Brésil, et également le plus grand hommage rendu au Brésil en dehors de ses frontières, dans les 393 années depuis que les portugais s'y installèrent."

La musique de Gomes était en fait si inhabituelle pour les nord-américains que de nombreuses questions sur ses origines émergèrent. J. H. Rogers, dans son livre "Les Grands Hommes de Couleur du Monde", écrit : "Gomes était un mélange de noir, d'indien, et de caucasien." Il avait en fait tort. Les origines de Carlos Gomes ont certes joué un rôle important dans la définition de son style musical, mais Rogers manquait d'informations sur ses véritables origines. Rappelons ce qu'elles sont. Don Antonio Gomez, fils d'un immigrant espagnol au Brésil, possédait quelques terres et des esclaves noirs, et se maria avec la fille d'un chef indien Guarany. De cette union nacquit Manuel J. Gomez, qui se maria par la suite à Fabiana Jaguary Cardoso, moitié indienne moitié portugaise, comme son nom composé l'indique. Ils eurent deux enfants : José Santana Gomes et Antonio Carlos Gomes, qui devinrent tous les deux musiciens. Carlos Gomes, afin de renforcer son "brasiliannisme", changea la dernière lettre de son nom pour le faire devenir Gomes. Un "z" final montre des origines espagnoles, tandis qu'un "s" final montre une origine portugaise. Comme le Brésil était une ancienne colonie portugaise, il préférait véhiculer l'image d'une ascendance Portugaise plutôt qu'espagnole.

D'un autre côté, il ne cacha jamais ses origines indiennes. Au contraire, il était toujours fier d'être un "fils de la jungle". Sa couleur de peau tendait vers le bronze, caractéristique des descendants des indiens Guarany, et non un marron pâle qui viendrait de l'influence noire africaine. Les rythmes sauvages de ses travaux sont très différents des cadences africaine onomatopéique et mélancolique. Dans deux de ses plus fameux opéra, les progrès les protagonistes sont indigènes : Péri, guarany dans Il Guarany, et Iberê, Tamoio dans Lo Schiavo, substitut du mulâtre Ricardo pour des raisons politiques. Durant son séjour à Maggianico, sa maison était décorée d'objets indiens comme des arc, des flèches, des lances, des piques, des colliers, des bracelets et des fruits secs.























Manuel Gomez, père de Carlos Gomes

7. Sa dernière volonté : demeurer au Brésil

Quand il retourna à Milan après son succès américain, Carlos Gomes trouva son fils Carletto souffrant du mal du XIXe siècle, la tuberculose. Il dépensa beaucoup d'argent à essayer de le soigner à Milan. En 1894, le gouvernement brésilien lui offrit 20 000 lires en or pour composer un hymne républicain. Bien que faisant face à des difficultés financières, il refusa cette offre, jugeant que ce serait une trahison à son bienfaiteur, l'ex-empereur Don Pedro II. Cette même année, il entra dans un concours pour être nommé Directeur du Collège Musical Rossini de Pesaro, mais Pietro Mascagni emporta la place. En 1895, il voyagea au Portugal pour y diriger Il Guarany : ce chef-d'oeuvre lui apporta à la distinction de Commandeur de Santiago de la part du gouvernement Portugais. De retour en Italie, on lui offrit à peu près au même moment deux postes parmi lesquels il dut choisir : Directeur de l'Ecole de Musique de Venise, ou Directeur du Conservatoire du Para, au Brésil. Vieux, et fatigué de vivre dans un pays étranger, il accepta la proposition brésilienne avec ces mots :

"Si ma maladie doit m'emmener jusqu'à la mort, je veux mourir dans mon Brésil, il n'y a aucun traitement qui puisse me garder ici."

Son fils Carletto semblait aller mieux. Carlos Gomes lui rendit visite une dernière fois avant de partir pour le Brésil. Il quitta finalement l'Italie en avril 1896, pour prendre ses fonctions dans son pays, où il mourut le 16 septembre 1896. Il eut des obsèques grandioses. Ses enfants en Italie célébrèrent le 7 octobre une messe en sa mémoire, à laquelle de nombreux musiciens et amis participèrent. Sur la porte de l'église San Fedele à Milan, on peut lire :

Al Maestro     Au Maestro
Antonio Carlos Gomes     Antonio Carlos Gomes
Gloria del Brasile che ebbe i natali     Gloire du Brésil, où il est né
Onore dell'Italia     Honneur de l'Italie,
Ove educò e spiego il suo genio     où il éduqua et développa son génie
I figli, gli amici e la patria     Ses enfants, amis et le pays
Ne piangono la prematura morte     pleurent sa mort prématurée
E pregano pace     et prient pour le repos de son âme


Carlos Gomes est resté un vrai brésilien jusqu'à sa mort. A la signature de son testament il ajouta les mots : brésilien et patriote. En se référant au compositeur, Mary Throwbridge Honey écrit :

"L'homme recherche toujours ses héros, une attitude qui, si elle est correctement dirigée, aboutit au plus haut type de patriotisme et de bonne volonté internationale. Mais, à part Washington, il y a peu de héros dans le nouveau monde qui soient acceptables à toutes les sections, toutes les religions et tous les partis politiques. Peut-être avons-nous recherché des héros au mauvais endroit ? Peut-être pouvons-nous de ce point de vue recevoir des suggestions de la part d'autres nations. Un grand compositeur d'Amérique du Sud, Carlos Gomes, est devenu un idéal national. À ce grand musicien brésilien, toute l'humanité pourrait rendre hommage."

Les nations du Nouveau Monde (Amérique latine, États-Unis et Canada) aiment l'art dramatique. Depuis que l'opéra a été popularisé sur ce continent au XIXe siècle, tous les grands chanteurs et compositeurs européens ont eu l'occasion de représenter leurs oeuvres dans les Amériques. Toutefois les oeuvres de Carlos Gomes sont absentes des scènes d'aujourd'hui. Durant sa vie, Carlos Gomes a révélé au monde le potentiel musical des nations américaines. C'est maintenant notre responsabilité de donner à ce génie musical brésilien la place qu'il mérite. Il est temps de rendre justice à son nom, et de se rappeler son oeuvre.



Mosaïque au sol de la maison de Maggianico




A. Carlos Gomes, dans ses dernières années


A. Carlos Gomes
Opéras - Chansons - Musique de Chambre - Piano - Biographie - Bibliographie & Enregistrements

A propos de l'auteur de ce site, Cyrene Paparotti

Pour tous commentaires, informations ou questions : cyrene@gounin.net